Perdue dans l’inconnu

Le mois d’octobre touche doucement à sa fin alors qu’il me semble avoir tout juste commencé. Comme toujours, j’écoute de la musique. Une chanson de Tom Leeb, qui me déchire le cœur. Le temps est morose. Et le mot « confinement » semble être redevenu à la mode. Je m’aperçois que ça fait un petit temps que j’ai écrit ici. Dans mon dernier texte, je m’interrogeais sur la société après le covid… sans savoir que cet après ne serait toujours pas là. On le sait, je n’ai pas envie d’écrire quand je me sens bien (ou du moins quand je crois l’être), c’est peut-être là le drame. J’écris seulement pour purger mes mauvaises pensées, pour tenter tant bien que mal de défaire les nœuds coincés au creux mon estomac, pour apaiser mes maux. Ainsi, il ne reste souvent de ces mots partagés, que la mélancolie, la colère, l’amertume. Je devrais penser à garder des traces des moments de joie, il me semble qu’il serait plus agréable de m’y replonger. Mais aujourd’hui si mes doigts me démangent, c’est parce que j’ai le cœur lourd…. rempli de frustration, de désillusion, de doutes, de questions, et de peur aussi. J’en envie de sortir tous ces mots coincés au fond de ma gorge, entremêlés aux larmes qui roulent de plus en plus souvent sur mes joues, sans même les avoir senties monter à mes yeux. Et j’écris avec l’espoir que déposer un peu de tout ça ici me soulage.

« Je suis celle qu’on ne voit pas, je suis celle qu’on n’entend pas, je suis cachée au bord des larmes, je suis la reine des drames » … ces mots par lesquels Pomme décrit l’anxiété dans sa chanson éponyme, résonnent si fort en moi. Un sentiment lancinant, presque physique, qui accapare mes pensées et me répète en permanence que ma vie n’est pas assez bien, que je ne suis pas assez bien. Si vous saviez comme j’aimerais dompter mon esprit, lui apprendre à relativiser. Mais ce n’est pas si simple. Mon esprit n’en fait qu’à sa tête. Il me fait penser, encore et encore. Beaucoup trop à vrai dire. Avec lui, je ressens tout. Chaque petit détail, aussi infime soit-il. Tout. Si intensément que cela me transperce le ventre, me noue la gorge et me paralyse les jambes. J’aimerais avoir un bouton « off ». Quelque chose qui refroidisse les mécanismes en marche qui font surchauffer mon cerveau. Quelque chose qui m’aide à faire une pause dans le rythme effréné de ces pensées qui me torturent. Mais il n’existe aucun interrupteur pour ces choses-là. Il y a bien des périodes où je me sens plus légère, où je ressens moins intensément le poids de mes émotions, c’est vrai. Mais le fait est que ce contexte anxiogène crée inévitablement en moi, comme chez beaucoup j’imagine, un profond sentiment d’incertitude. Je suis plus sensible encore que d’ordinaire, et je me retrouve là, à fleur de peau, incapable de gérer les petites contrariétés, les déceptions et les colères, qui apparaissent dans mon quotidien.

En ce moment, plus encore que d’habitude, j’ai l’impression de ne plus avoir aucune maitrise de ce que sera mon avenir. Quelle vie m’attend dans ce monde qui s’effrite ? A quoi me raccrocher ? Entre cette masse confuse d’informations, ces mesures, ces peurs… je ne sais plus quoi penser. Je me sens perdue, irrémédiablement piégée dans une réalité à laquelle j’ai l’impression de ne plus appartenir. Et ça, sans échappatoire. Je finis par en vouloir… à qui je ne sais pas, à l’Univers peut-être… de m’avoir enlevé ce semblant de normalité dans lequel construire ma vie. A quoi ressemblera mon futur ? Qu’en sera-t-il de ma vie sociale, des contacts physiques, des sorties, des concerts, des verres de vin et des rires dans la nuit ? Alors oui, je sais que cette réflexion peut sembler futile voire égoïste parce que finalement j’ai un toit sur la tête, je mange à ma faim, j’ai un travail, je suis entourée par des gens qui m’aiment et aucune menace vitale ne plane sur moi quand je sors de chez moi. J’ai conscience que ma situation est loin d’être la pire, vraiment. Et cette conscience, accrue par mon empathie surdimensionnée, m’empêche rarement d’ignorer toutes ces autres vies, plus difficiles, tous ces individus qui essaient de survivre dans ce monde qui les écrase, covid ou pas d’ailleurs. Ce sentiment d’impuissance me tue. Je ne sais plus comment prendre du recul. Je ne sais plus comment ne pas ressentir le poids de tous les maux du monde peser sur ma poitrine. Parfois, j’aurais bien besoin d’insouciance et de légéreté. Mais face aux injustices de ce monde, je brûle de lutte et d’action aussi. Parce que plus que tout, j’ai besoin de sens dans ma vie. Et en ce moment, j’ai bien du mal à en trouver.

D’autant plus que j’ai l’impression que la catégorisation des opinions est de plus en plus polarisée… Comme s’il y avait les donneur.se.s de leçons d’un côté et les je-m’en-foutistes de l’autre. Exprimer un avis nuancé, se questionner sur ce qui se passe, ou interroger les décisions qui sont prises, est ainsi devenu difficile. Je veux avoir le droit de dire que je suis dans le flou. Et que je ne veux pas acquiescer sans réfléchir, ni critiquer sans fondement d’ailleurs. Ceci étant, malgré les réalités sanitaires dont je suis évidemment consciente, et sans vouloir tomber dans une sorte de conspirationnisme, je ne peux m’empêcher de m’interroger sur comment cette crise est gérée et comment tout ça impacte notre capacité à nous réunir, à réfléchir ensemble, à réagir… Je ne parle pas ici d’entrave à notre liberté parce que le terme est largement dévoyé, il me semble trop réducteur de dire ça, d’autant plus que je ne suis pas partisane de l’idée selon laquelle la liberté individuelle prime à tout prix sur toute autre valeur de bien commun. Mais comment incarner un esprit critique, un contre pouvoir, comment exercer notre citoyenneté, comment remettre en question les institutions, quand nos interactions sociales sont réduites ? Le travail deviendra-t-il à terme notre seul lieu de socialisation autorisé ? Qu’est-ce que cela dit sur notre société et ses priorités ? Ces mêmes priorités capitalistes liées au profit avant tout, qui sont d’ailleurs aujourd’hui certainement en grande partie responsables de la manière dont cette crise nous touche et particulièrement de la difficulté des hôpitaux à faire face aux flux de patients graves atteints du covid …  Je me pose, légitimement me semble-t-il, la question de savoir quid de la misère, du réchauffement climatique, ou encore du racisme, du sexisme… Si la vie humaine semble être devenue une priorité suffisamment importante pour justifier absolument toutes les décisions politiques, quand est-ce que ces sujets le deviendront au même titre ?

Ceci étant, je fais « attention », oui. Mais qu’est ce que ça signifie vraiment ? Le risque zéro n’existe pas. En vérité, on fait ce qu’on peut, on fait au mieux. Mais jusqu’à quand ? J’entends « c’est temporaire, ça passera »… mais si le virus ne disparait pas, ou qu’il était remplacé par une autre pandémie, si on ne retrouvait jamais un semblant de « normalité » (j’exècre ce mot et je sais que ce qu’il recouvre dans la société n’est pas forcément ce à quoi j’aspire mais je veux ici parler d’un climat qui serait au moins exempt de cette peur institutionnalisée), quelle vie sommes-nous condamné.e.s à vivre ? Une vie éternellement entre parenthèses ? Je n’arrive plus à faire la balance de ce qui m’importe le plus, non pas entre nos libertés individuelles et le bien commun, tel le débat manichéen dans lequel on semble être cloisonné.e.s. Mais entre ma vie telle que je me l’imaginais et la vie telle qu’elle se dessine désormais, où rien ne compte si ce n’est « faire attention ». C’est peut-être égoïste… oui ça l’est sans doute. Mais c’est ce que je ressens ; une implacable frustration, un vide déchirant qui se creuse dans ma poitrine. Et j’avoue ne pas vraiment savoir comment sortir de cet état d’esprit. Je comprends qu’il faut s’adapter, mais je me demande jusqu’à quel point il le faudra. Dans ce contexte, comment retrouver de l’espoir ? Comment imaginer des projets pour l’avenir ? Comment rester positif.ve.s ? Je ne sais pas vraiment si je trouverai des réponses. Je sais juste que cette anxiété qui me ronge finira, à un moment, par se calmer. Je l’espère. Alors que je chavire en eaux profondes, je ne peux que me raccrocher à cette idée. Si les choses ne vont pas mieux, il faudrait au moins que je les vois différemment… Comme dit la formule consacrée du moment : « On verra… ».

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