Confinement vôtre

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Confinement jour… je ne sais plus combien… Je vous avoue avoir quelque peu perdu la notion du temps, comme beaucoup j’imagine. Ce que je sais par contre, c’est qu’aujourd’hui, 31 mars, c’est l’anniversaire de mon papa. Mais sans mon papa. En toute honnêteté, et étonnement peut-être, j’éprouve un certain soulagement, une certaine forme de réconfort même. Parce qu’il n’a pas à vivre la peur, l’éloignement, l’isolement et la maladie. J’ai envie de croire que l’univers a bien fait les choses pour lui, et pour moi aussi. Je ne viens pas avec ces quelques mots dans la volonté, presque narcissique comme l’ont certain.e.s, de vous narrer mon confinement. Les journées passent et se ressemblent. Mais j’ai la chance d’être dans une situation confortable et relativement agréable. Et je n’ai visiblement pas encore développé de comportements étranges dus à l’enfermement. Ah oui. Et j’ai installé les Sims 4. Est-ce que ce compte-rendu de mon banal mais tendre quotidien mérite d’être porté au rang d’archive historique de l’année 2020 ? Franchement non.

Pour beaucoup, et je me compte parmi cette énumération imprécise d’individus, il s’agit d’un besoin irrépressible que celui d’écrire. Pour raconter quoi ? Qu’importe ! Pourvu qu’on ait l’ivresse des mots. Alors je comprends cette envie de consigner dans un carnet, virtuel ou de papier, ses ressentis, ses pensées, ses opinions, ses angoisses peut-être. C’est un acte libérateur, parfois même cathartique. J’en suis témoin. Mais que penser de ces articles et autres « journaux de confinement » qui transforment l’intime de celle/celui qui écrit en une réalité inaudible, inconcevable pour une large part de la population. Quand la romantisation – voire l’idéalisation – de cette période de confinement devient finalement indécente. Violente même. A travers les médias est renvoyée l’image d’une parenthèse agréable, un moment de repos qui nous donne l’occasion de prendre du temps pour nous. Mais cette vision est loin d’être universelle. Quid de tou.te.s celles et ceux qui n’ont pas cette chance ? Celles et ceux pour qui ce confinement est synonyme d’isolement, de difficultés et de précarité exacerbés ? Quand on subit de la violence conjugale ? Quand on vit à 5 dans un 25 m² ? Ou quand on n’a tout simplement pas de « chez soi » ? Que faire de ces réalités et de toutes les autres ? Les crises touchent plus durement encore les plus fragiles de la société, et les inégalités sociales – qui influencent indubitablement notre rapport au monde et a fortiori à ce confinement – se trouvent renforcées. Alors, bien qu’impuissante, je pense à ces personnes. Je ne peux qu’espérer que l’entraide et la solidarité seront de mise. Aujourd’hui, mais demain aussi, après cette crise. Je crois encore que l’on peut changer la société et les rapports de domination qui la composent. Même si, j’en conviens, ce ne sera pas sans mal.

Ces considérations sur la portée de l’écriture étant posées, que cela ne m’empêche pas de m’exprimer et de me raconter, moi et mes états d’âme, tel que je le fais d’ordinaire en des temps plus quelconques. Bien au contraire. Je vous dirais essentiellement que plus j’avance dans ce confinement, plus j’exècre les gens. Enfin, j’exagère. Disons plutôt que – sans jeter l’ensemble des Homo Sapiens dans un même sac – je me lasse de nombre de nos comportements. Pour être totalement transparente, c’était déjà le cas avant cet enfermement, mais là il faut croire que la diminution des interactions sociales réelles font déjà leur effet sur ce postulat. La bêtise et l’inconscience de celles et ceux qui ne suivent pas les mesures de prévention, les théories du complot et les fakes news qui circulent sur les réseaux sociaux, les challenges photos qui se propagent plus vite que le Covid-19, le sexisme ordinaire qui raille la condition féminine en confinement, ou encore les vidéos Tik Tok (à force de voir tout le monde en faire, j’ai fini par télécharger l’appli, bien que je n’y comprenne rien, bravo) … Autant de petits ou gros détails de l’existence qui, globalement, provoquent chez moi les plus vives démangeaisons. Et puis il y a ces gens qui applaudissent… Peut-être suis-je chafouine et quelque peu désabusée, n’est-ce pas ? Je sais que cette démonstration populaire part d’un bon sentiment, de nobles intentions… Mais ce n’est pas comme si le monde hospitalier avait attendu cette crise sanitaire pour être surchargé et pour manquer de moyens, financiers et humains. Ni d’ailleurs pour devoir être reconnu à sa juste valeur en tant que secteur central de notre société. C’est sans sarcasme que j’espère qu’une fois cette crise derrière nous, ces personnes, qui ouvrent leurs fenêtres et font vibrer la rue au rythme du battement de leurs mains, n’oublieront pas la nécessité, l’urgence même, de réinvestir dans les services publics. Et, par conséquent, d’agir pour faire bouger les lignes dans ce sens.

Je crois qu’il en va de même pour l’écologie d’ailleurs. A de nombreuses reprises, j’ai succombé à cette séduisante pensée – certes simpliste j’en conviens désormais – que « la nature est en train de reprendre ses droits« , comme si cette pandémie représentait finalement une bonne chose pour la planète, une opportunité même. Mais peut-on raisonnablement y croire ? Au-delà du fait que c’est, me semble-t-il, quelque peu violent vis-à-vis des personnes qui font face à la maladie, voire à la mort, n’est-ce pas tout bonnement faux ? Si à court terme, oui, on peut se réjouir des « effets positifs » de cette crise sur l’environnement avec une impressionnante diminution de la pollution et des émissions de gaz à effet de serre, c’est loin d’être suffisant. Il faudrait que cette baisse soit pérenne pour être véritablement bénéfique. Or, après tout ça quelle sera la priorité imposée si ce n’est la relance économique ? Et surtout, est-ce que cela sera compatible avec de nouvelles mesures en faveur de l’environnement ? Si nous persistons avec notre modèle économique et notre mode de vie actuels, la réponse est selon moi, irrémédiablement et tristement, non. La croissance économique ne doit pas justifier un retour en arrière de la lutte écologique, mais un bond vers de nouvelles solutions qui la renforcent … ça aussi il faudrait s’en souvenir après.

Sur ces mots, je vous laisse. Je m’en vais faire une balade en ville, puis boire un verre entre amis et certainement diner au restaurant… Et bien quoi ? Je vous ai dit que j’avais installé les Sims.

« Ce monde n’est pas fini, il va gigoter encore ; après le confinement un boom économique provisoire le rassurera. Seul un nouveau mouvement citoyen animé par une pensée forte et une conscience lucide pourra ouvrir le chemin d’un monde nouveau » (Edgar Morin, sur Twitter)

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