Parenthèse virale

* * *

Vendredi 13 mars, 17h10. J’ai quitté mes collègues avec un signe de la main, et le bureau avec une étrange sensation. Je n’irai pas jusqu’à dire que ça semblait être la dernière journée avant la fin du monde – comme certain.e.s ont pu le laisser penser – mais plutôt la dernière journée avant de mettre notre vie, telle que nous la connaissons, entre parenthèses. Depuis quelques semaines, j’ai quand même un peu l’impression d’être dans le préambule de The Walking Dead ou de toute autre histoire nous montrant comment l’humanité a soudainement été assaillie par un virus mortel nous transformant tou.te.s en zombies sans foi ni loi. Parce qu’autant, on appuie sur pause dans nos quotidiens, autant on ne la pas fait pour la bêtise humaine. C’est tout le contraire. Et de vous à moi, c’est devenu urgent de partager ma colère, et mes espoirs aussi.

D’un côté il y a tout.e.s celles et ceux qui minimisent la dangerosité et l’impact du virus, brandissant l’argument de la psychose propagée par les médias. Alors oui ok cet argument est plus que recevable ; pas une seule minute ne passe sans qu’à la télé, à la radio, dans les journaux, sur les réseaux sociaux, on ne soit submergé.e.s par ce flot d’informations, ce décompte morbide de chaque nouveau cas, de chaque nouvelle mort… ce qui a inévitablement généré une énorme paranoïa, et pas que chez les plus hypocondriaques d’entre nous. Mais quand bien même on est exposé.e.s à un contenu exagérément anxiogène H24 (passant sous silence toutes les autres tragédies du monde… enfin, ça c’est le fonctionnement habituel de l’agenda setting en fait), ça ne veut pas pour autant dire que ce n’est rien. Croire que c’est une « simple grippe », que c’est pas si grave et que « la vie continue », c’est de l’inconscience. Puis, de l’autre côté, on a tous ces gens qui dévalisent les rayons des magasins comme si demain c’était la guerre ou la fin du monde. Après s’être arrachés masques et gels hydroalcooliques, exempts de toute rationalité – tels les zombies dont je vous parlais plus haut – ils font leur stock de pâtes, d’eau, de boîtes de conserve et de …. papier toilette. Là je vous avoue que j’ai un peu de mal à comprendre ce genre de survivalisme… Ça en dit long sur les priorités humaines. Et sur nos paradoxes aussi, parce qu’aller faire ses provisions et se retrouver au plus proche d’un grand nombre de personnes dans un espace réduit, c’est quand même pas le meilleur moyen d’éviter la contagion.

En l’absence de toute mesure donc, dans les deux cas, ce qui triomphe c’est l’égoïsme et l’irresponsabilité. Le fameux « connard virus ». Celles et ceux qui ne suivent aucune mesure de précaution sous prétexte qu’elles/ils ne font pas partie des personnes à risque. Celles et ceux qui cèdent à l’hystérie acheteuse ne laissant pas la chance à chacun.e d’avoir accès à des produits dits de première nécessité. Celles et ceux qui participent ainsi à la propagation du virus et du désespoir. J’ai envie de leur demander : Et si vous pensiez un peu aux autres ? Les personnes les plus fragiles, les plus précaires, on en fait quoi ? On les laisse mourir, c’est ça ? Plus que du virus, c’est de la folie humaine dont j’ai peur. De cette propension à sombrer dans les extrêmes et à vivre à travers le prisme de l’individualisme, comme s’il n’existait aucune notion de communauté en nous. Alors ok, les mesures prises par les politiques ne sont pas parfaites mais elles ont au moins le mérite d’exister. La seule chose qui me semble (toujours) essentielle, c’est de privilégier l’humain à l’économie. Il faut être cohérent.e.s. Ceci étant, n’oublions pas qu’on est face à une situation inédite. Oui ça montre qu’on n’est absolument pas préparé.e.s à ce genre de scénario, c’est certain. Mais en même temps, on part de rien, on doit créer, s’ajuster, réfléchir à des solutions nouvelles. Tou.te.s ensemble. Même à notre petite échelle. En restant chez soi un maximum et en limitant les contacts, par exemple. Ça, ça me semble faisable, non ?

Pour moi, rien n’arrive par hasard. Rien. Je ne peux donc pas m’empêcher de penser que c’est aussi d’application pour ce qui nous arrive ici. Cette crise sanitaire (qui, dans les faits, est tout autant politique, économique et sociale) remet inévitablement en question nos institutions et nos manières de fonctionner. Il me semble essentiel de comprendre que la santé et le bien-être de chacun.e sont des considérations fondamentales de notre société, celle-ci souvent davantage centrée sur les profits économiques. Et si tout ça était l’occasion de repenser différemment notre modèle sociétal ? Cette urgence souligne incontestablement les contradictions les plus profondes de notre organisation sociale. Ne serait-ce pas le moment de réfléchir à de nouveaux modes de vie ? Système de santé, aide sociale, précarité, mode de consommation, transition écologique… Autant d’enjeux qu’il me semble essentiels de remettre au centre de nos préoccupations politiques et sociales. La peur ne doit pas nous aveugler, elle doit nous pousser à s’organiser différemment. En ne se retranchant plus derrière l’individualisme si imprégné dans notre société, si dévastateur du bien commun. Plus que jamais, est-ce qu’on peut faire de la solidarité notre valeur refuge ? Parce que même si on ne peut plus se serrer la main, on peut au moins tâcher de se serrer les coudes.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *