CETA : tout ça pour ça…

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C’était la saga de ces derniers jours : David contre Goliath version wallonne. La signature du tant contesté CETA – accord de libre-échange entre le Canada et l’Union Européenne – devait se faire le jeudi 27 octobre. Oui mais voilà, tout ne s’est pas passé comme prévu. Alors que quelques jours avant le sommet UE-Canada, tous les États membres se disent prêts à signer l’accord, on apprend que la Wallonie, elle, ne l’est pas. La petite région, saluée par de nombreux médias, associations et personnalités politiques, était ainsi devenue l’étendard, le symbole du refus de soumission à la « dictature » européenne. Et celui qui a été désigné comme l’artisan de cette résistance n’était autre que Paul Magnette, le ministre-président de la Région Wallonne. Hier, nous étions le dimanche 30 octobre et si l’heure a reculé, ce fut aussi le cas de la résistance : l’accord aura juste pris du retard mais il a été signé.

« Magnette, ce héros !»

Nombreux sont ceux qui l’ont pensé un peu partout en Europe et même au Canada, que ce soit chez les anti-CETA ou chez les eurosceptiques. Et je ne peux pas leur en vouloir, moi-même j’y ai cru l’espace d’un instant. J’ai cru en la capacité d’un politique à résister aux pressions de l’ultra-libéralisme européen et à se porter garant des considérations citoyennes… avant de me rappeler qu’il s’agit précisément d’un politique et que par définition (une définition plus que cynique je vous l’accorde), il ne lui faut pas longtemps avant de faire marche arrière et de se conformer aux directives des instances européennes. Je revois encore tous ces articles de presse faisant de la Wallonie et de son représentant, des héros. Dire qu’il y avait certainement des tas de gens qui ignoraient totalement l’existence de l’un comme de l’autre (en dehors de la Belgique j’entends bien, enfin je dis ça mais il y a certainement quelques flamands qui préfèrent ignorer la Wallonie aussi), joli coup de pub Paul, y a pas à dire. Parce que oui, il me parait évident que tout ce cirque ne visait absolument pas à remettre en cause le traité commercial entre le Canada et l’UE. Pour moi, il s’agissait plutôt d’une stratégie finement menée pour mettre en avant la Wallonie et pour se mettre en avant lui, pour incarner la résistance contre la mondialisation. Une hypocrisie qui passe mal pour moi. Surtout que parmi tous les anti-CETA, on ne peut pas dire que Magnette (qui n’en est d’ailleurs pas un en fait) soit le plus militant ! Ça fait un petit temps que des tas d’activistes mettent en garde contre les dangers de tels traités, alors Paul t’es sympa mais bon c’est pas toi le pionnier. Je reconnais tout de même l’effort de notre cher ministre-président (j’ai été très fière d’être wallonne je dois bien l’avouer) et n’enlève rien à ses compétences (au contraire, je le trouve brillant, vraiment) mais je n’arrive pas à m’enlever de la tête qu’il a profondément profité de la situation pour apparaitre dans la lumière. Il n’empêche que c’est plutôt réussi : il est clairement le grand gagnant de toute cette histoire. A l’international, il s’est taillé un nom et une réputation d’homme résistant et pugnace. En Belgique, du côté wallon en tout cas, l’opinion publique a plutôt une image positive de lui, surtout que beaucoup de citoyens ne s’intéressent pas vraiment à ce que représente le CETA donc restent satisfait de l’action de Magnette. Et au sein du PS, il a clairement montré qu’il avait l’étoffe d’un futur président de parti. Belle prouesse de récup’ politique, non vraiment je m’incline.

Grands espoirs, grande déception

Par contre, pour les plus à gauche, on ne voit plus vraiment Magnette comme un héros. On risque plutôt de le prendre pour un vendu… enfin c’est pas vraiment un risque en fait, on le prend pour un vendu à vrai dire. C’est vrai quoi, même si lui ne s’était jamais positionné contre le CETA, beaucoup de ceux qui soutenaient son « combat » l’étaient (et j’en fais partie). Alors qu’il y ait eu des renégociations et un accord intra-belge, beh on s’en fout un peu parce que le problème ça reste le traité en lui-même. Après c’est vrai qu’en politique, on le sait, les retournements de vestes c’est monnaie courante, ce n’est donc qu’à moitié étonnée que j’ai assisté à la capitulation de la Région Wallonne vis-à-vis du CETA… Des partis comme le PTB et Ecolo ont notamment beaucoup critiqué ce revirement de position en pointant du doigt un accord comportant « beaucoup de promesses et peu de garanties » (Raoul Hedebouw, PTB), s’apparentant clairement à une « imposture » (Ecolo). Et c’est vrai que sur le fond, aucune modification substantielle n’a été apportée à l’accord. Pourtant Paul Magnette se dit satisfait… Je me dis tout ça pour finalement revenir peu ou prou au point de départ. Fais confiance aux politiques mais attends toi à tomber de haut. Bref, grosse déception.

ceta

CETA-voir ? Non c’est tout vu !

Pardon pour le jeu de mots pourri oui, je me suis retenue jusqu’ici mais c’était trop tentant. Ok des clarifications sur l’interprétation de certains points du CETA ont été apportées mais bon ça change pas grand-chose… Je ne suis clairement pas en faveur de ce genre d’accord commercial qui, selon moi, apporte plus de conséquences négatives que positives, et ce à plusieurs niveaux. Je ne vais pas toutes les passer en détails mais j’aimerais juste citer quelques points qui me semblent importants.

  • Protection sociale

Le CETA vise plus de libéralisation et donc moins de protection. En voulant enlever tous les « obstacles inutiles au commerce », surtout dans un contexte d’austérité budgétaire, il risque de réduire la marge de manœuvre des Etats et leur capacité à mettre en place ou à maintenir une protection sociale solidaire et adéquate. Que ce soit au niveau des soins de santé (par exemple avec une diminution de la prise en charge publique) ou au niveau du marché du travail (avec le dumping social et une concurrence accrue entre les travailleurs), les risques sont grands. Dans un contexte hautement concurrentiel, la tentation est forte pour les Etats de diminuer toujours plus la fiscalité sur les entreprises pour attirer les investisseurs, affaiblissant ainsi les moyens disponibles pour le système de protection sociale.

  • Écologie

Alors que les Etats ont récemment signé un accord sur le climat s’engageant à respecter les objectifs fixés à la COP 21, on prévoit une importante augmentation des émissions de gaz à effet de serre avec le CETA. D’autant plus qu’aucune contrainte environnementale ne figure dans le texte… On aime les paradoxes donc. Ce n’est clairement pas avec ce genre de traité que l’on va renforcer les actions politiques en matière d’environnement…

  • Économie  

On nous promet que le CETA va générer de l’emploi et donc des richesses. Pourtant, officiellement on prévoit une augmentation du PIB européen de 0,03%, un chiffre exorbitant donc… D’autres études décrivant même la potentielle destruction de plusieurs dizaines de milliers d’emplois en Europe… et rajoutons à cela la concurrence accrue des grandes entreprises canadiennes, ce qui constitue un risque énorme pour nos PME.

  • Multinationales

Parce que les traités de libre-marché comme le CETA renforce l’hégémonie des multinationales et leur indépendance vis-à-vis des Etats, ceux-ci verront leur capacité à maitriser la mondialisation et ses impacts se réduire encore. Par exemple, les investisseurs pourront porter plainte contre les Etats s’ils estiment que ces derniers prennent des décisions qui peuvent affecter leurs « attentes légitimes » (en vertu de la clause de « traitement juste et équitable »), ce qui, vous en conviendrait, laisse une grande marge de manœuvre aux multinationales. Selon moi, l’heure est plutôt à favoriser les petites entreprises nationales, les agriculteurs, à investir dans les métiers liés au développement durable pour créer de l’emploi, etc. Protectionnisme vs libéralisation… personnellement, je sais où se porte mon choix.

Bref, on pourrait encore continuer longtemps comme ça parce que des arguments contre le CETA, il y en a beaucoup. Selon moi, il y en a même plus que les supposés avantages que l’accord est censé apporter. Réduction de la capacité des Etats à privilégier l’intérêt général, abaissement des normes sociales et environnementales, renforcement de la libéralisation, risque pour la démocratie,… sont autant de raisons qui font profondément de moi une anti-CETA. Et ce ne sont certainement pas les petits arrangements interprétatifs sur l’accord qui vont me faire changer d’avis, bien au contraire. Le problème, c’est qu’aussi vive soit l’opposition parmi les citoyens, rien n’y fait, la signature a eu lieu. La seule chose positive de cette petite résistance wallonne – qui n’aura au final fait que retarder l’échéance – c’est qu’elle a certainement permis à de nombreux citoyens de prendre connaissance de l’existence du CETA. Ce genre d’accord, ça parait tellement éloigné pour beaucoup de personnes : on ne s’y intéresse pas alors que l’impact sur nos vies est loin d’être négligeable. Encore une fois, le manque d’informations fournies aux citoyens pour comprendre les réels enjeux de décisions politiques comme celle-ci est flagrant. J’imagine naïvement que si la mobilisation avait été plus grande, le gouvernement wallon n’aurait pas cédé, et en fait, les autres Etats n’auraient peut-être pas cédé non plus. Tous mes rêves pour un accroissement de la participation citoyenne sont un peu égratignés, je dois bien l’avouer. Tout ce que j’espère maintenant, c’est que le CETA ne donnera pas un petit coup de pouce à l’acceptation du TTIP. Stop à ce capitalisme effréné ! Il est temps de miser sur une économie responsable qui ne néglige pas les impératifs humains, sociaux et écologiques. Une nouvelle société, oui. Mais pour ça, il ne faut pas seulement le dire, il est temps d’agir. Trop idéaliste, vous dites ? Sûrement, mais je n’arrêterai pas d’y croire pour autant, bien au contraire.

2 thoughts on “CETA : tout ça pour ça…

  1. Des millions d’esclaves produisent des tonnes de marchandises et ne consomment pas. Nos salaires n’augmentent pas et on arrive à saturation. Je sais qu’en Europe il y a des gens qui ne peuvent pas consommer mais, même s’ils le faisaient, la réalité est là : on n’a que deux pieds et un estomac. La place est limitée et on ne peut pas acheter 50 bagnoles. La croissance illimitée est un mythe. Alors, les gros, par manque d’imagination et appât du gain immédiat, veulent éliminer les petits pour avoir plus de profits. Mais ça reste temporaire et illusoire. Juste des idées comme ça, hein … Après tout, chuis pas spécialiste. Bonne journée !

    1. Totalement d’accord.. L’illusion de la croissance infinie (illusion sur laquelle se fonde le principe capitaliste) est pour moi nécessairement vouée à s’auto-détruire. Le modèle « travailler et produire toujours plus pour gagner toujours plus (enfin seulement pour quelques uns évidemment, les autres vous gagnerez moins, on partage pas) » est usé, il est temps de passer à autre chose, davantage tourné vers le respect de l’humain et de la nature… Mais bon je ne prétends pas détenir la vérité absolue et encore moins toutes les solutions, loin de là ! Seul l’avenir nous dira si les gens sont vraiment prêts à changer…
      Bonne journée à toi aussi et merci pour ton commentaire 🙂

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